Coup d'oeil sur l'ère Meiji, le "gouvernement éclairé"

Coup d'oeil sur l'ère Meiji, le "gouvernement éclairé"

Comme vous le savez peut-être, les Japonais découpent les époques historiques par périodes, nommées "ères" qui font référence au pouvoir en place qui guide le pays. Ainsi elles peuvent prendre le nom de l'Empereur ou une caractéristique marquante de son règne.

L'ère Meiji dont nous allons parler ici fait suite à la longue période Edo, du nom de l'ancienne capitale Tokyo, centre du pouvoir des Shogun Tokugawa. (un prochain article vous en dira plus sur cette ère). 

 

 

L'ère Meiji est celle de la restauration de l'Empire, et correspond au règne de l'Empereur Masushito qui commence en 1868 et s'achèvera à sa mort en 1912, laissant la place à l'ère Taisho. Il est courant de dire que cette période est charnière dans la construction du Japon moderne et qu'elle représente un tournant fondamental dans l'histoire du pays. On la résume souvent comme étant le temps du passage de la tradition à la modernité, Meiji se traduit par "gouvernement éclairé". L'Empereur laissant l'ancien siège du pouvoir impérial traditionnellement situé à Kyoto s'installera à Edo qui deviendra Tokyo, nouvelle capitale symbole de la modernité.

Evidemment la réalité est plus complexe, et la chute du gouvernement des Shogun Tokugawa  prend ses racines bien avant mais il est certain que ce renversement du pouvoir et la restauration de l'Empereur créent dans le pays d'immenses bouleversements politiques, sociaux et économiques. Ces transformations ne seront pas sans conséquences sur la vie artistique et d'une manière ou d'une autre on peut les deviner dans les illustrations populaires que sont les estampes. 

Le pouvoir fort et hiérarchisé des shoguns Tokugawa, qui construisirent l'unité du Japon sur plus de deux siècles, s'appuyait sur les valeurs de la famille (dans une conception très confucéenne) et sur une stricte hiérarchie des classes, avec celle des samouraïs au sommet. D'autre part, le pays s'était partiellement fermé aux échanges internationaux et aux apports des cultures extérieures, à part le port de Nagasaki, resté ouvert aux échanges avec la Hollande. Mais cet isolement vacille quand en 1853, des bateaux de guerre américains débarquent  dans la baie d'Uruga et provoquent un vrai choc au sein du gouvernement des Shoguns, mettant en évidence des dissensions fortes sur la stratégie à tenir face aux nations étrangères. Cet évènement sera à l'origine d'une crise grave au sein du pouvoir des Tokugawa et amènera leur abdication en 1868.

La restauration met en place la première constitution du pays. Elle va aller de pair avec une volonté nouvelle de négocier avec l'étranger. En effet, face aux changements du monde et à la présence des Occidentaux en Asie (en Chine en particulier), la récente administration du Japon met en place une tactique pour parvenir à traiter d'égal à égal avec l'Occident : les rejoindre sur leur propre terrain. Il fallait donc bâtir une économie florissante et indépendante selon le mode occidental et constituer une armée moderne et efficace capable de se comparer aux grandes puissances de l'Ouest. 

Le gouvernement prend ainsi des décisions qui vont bouleverser l'ordre traditionnel et impacter fortement la vie quotidienne des Japonais. Le calendrier grégorien va être adopté, les quatre classes traditionnelles sont abolies et les samouraïs doivent abandonner leur droit à porter le sabre et couper leur chignon, les femmes renoncent de leur côté à la coutume de se noircir les dents et vont petit à petit être incitées à calquer leur tenue sur celles des Européennes.

Des réformes d'envergure vont transformer le système éducatif, et beaucoup de jeunes Japonais sont alors envoyés étudier à l'étranger. Les services publics comme la Poste, les transports, l'électricité, vont se développer selon les normes occidentales, à vive allure et ainsi complètement transformer le paysage quotidien de la population tout comme la structure des villes. De nombreux livres d'auteurs et de penseurs occidentaux vont être traduits et influencer la nouvelle génération. Les jeunes artistes, intéressés depuis la fin de l'ère Edo, par les codes artistiques venus d'Europe, comme le clair-obscur, ou la perspective occidentale, vont intégrer plus encore ces apports pour les mêler à leur tradition picturale déjà très riche. Une école technique des Beaux-Arts est créée à Tokyo où de nombreux professeurs étrangers sont invités.

Dans le monde de la peinture et des oeuvres imprimées, les artistes japonais vont adopter de nouveaux pigments venus de l'Ouest. Déjà utilisés depuis l'introduction du célèbre bleu de Prusse à la fin de l'ère Edo, ils vont enrichir les impressions, permettant d'élargir la palette des couleurs, avec des rouges très intenses, des oranges vifs et des nuances de violet. Jusqu'ici, seuls des pigments naturels étaient utilisés dans les estampes ukiyo-e traditionnelles, ces nouvelles teintes vont caractériser les estampes de l'ère Meiji.

 

 

 

Tous ces bouleversements vont être largement illustrés dans les estampes de cette époque, et bien des artistes vont s'attacher, de manière quasi journalistique, à représenter la ville nouvelle, les trains et les ponts ou les déplacements de l'Empereur, qui pour la première fois dans l'histoire du Japon, pouvait être "vu" par le peuple et donc dessiné pour le plaisir de tous. 

 

 

La stratégie du nouveau gouvernement fut dans le même temps d'assoir sa puissance militaire pour assurer sa sécurité et son indépendance. Une grande réforme va mettre en place la conscription et très vite, le Japon va imposer sa force à l'extérieur, en Corée d'abord puis en Chine. De nombreuses estampes vont alors documenter les faits de guerre, oeuvres quasi de propagande, illustrations de grande bataille à la gloire de la nation japonaise. Ces estampes sont aujourd'hui de véritables témoins d'une époque et font l'objet de l'engouement de collectionneurs. De la même manière, les estampes illustrant la vie de la ville et du port de Yokohama, que l'on appelle des Yokohama-e (images de Yokohama), sont aujourd'hui des oeuvres recherchées, tout particulièrement par des collectionneurs japonais. Représentant les moeurs et la vie quotidienne des étrangers particulièrement présents dans cette ville, à travers leurs tenues, leur divertissements, elles illustrent parfaitement cette époque de basculement. 

Mais l'ère Meiji, par ses changements profonds va aussi provoquer un sentiment de nostalgie important, un désir largement ressenti d'arrêter le temps qui semblait aller trop vite. Il faut imaginer à quel point cette occidentalisation prônée par le nouveau pouvoir en place, fut éprouvant pour de nombreux Japonais. On se plait alors à se remémorer des moments historiques anciens, à glorifier des héros du passé, figures valeureuses et mythiques appartenant aux grands récits populaires.

 

 

Des artistes incontournables de cette fin du XIXe siècle, comme Yoshitoshi, vont répondre à merveille à cette attente ; la série des Cent aspects de la lune en est un exemple parfait et elle eut un succès considérable au moment de son impression. De même, les triptyques de Chikanobu , dans ses séries sur la vie du palais de Chiyoda, vont décrire la vie et les moeurs d'époques anciennes et ravir le public, qui affirme son désir de lien avec son histoire et son passé. 

 

 

Autres témoins de cette époque, si riche en changements, les éditions de romans populaires modernes, écrits dans des magazines dédiés à un public féminin, comme le magazine Bungei Kurabu, vont apparaître dans les années 1890. Des artistes d'estampes furent sollicités pour illustrer ces romans. Ces estampes toutes singulières, qu'on appelle kuchi-e, reflètent parfaitement leur temps, par les détails qui mettent en évidence la façon de vivre des citoyens de l’époque, partagés  entre tradition et modernité et par leur composition, mixte entre l'art traditionnel et les apports de l'art occidental.

 

Estampe japonaise de Toshimine représentant une femme au bord d’une rivière, en kimono de travail, accroupie avec un panier dans les bras.

 

Cette période est donc une époque extrêmement riche sur le plan culturel et artistique et passionnante à découvrir. Si, longtemps les collectionneurs ou spécialistes ont préféré les estampes ukiyo-e de l'ère Edo qui sont, il est vrai d'une finesse sans précédent, les estampes de l'ère Meiji reflètent une grande diversité, oeuvres d'artistes tout à fait importants et indispensables à connaître à qui s'intéresse à l'art de l'estampe. 

Enfin n'oublions pas que c'est à l'ère Meiji que l'Occident fut envahi par les arts décoratifs, et en particulier les estampes, non seulement du règne de Meiji mais aussi du régime des Tokugawa . Cet afflux suscita, tout particulièrement en Europe, et plus encore en France, l'engouement pour l'art japonais puis la naissance du célèbre  mouvement du Japonisme qui influença tant de générations d'artistes occidentaux. 

Sources : Tradition et transition, le Japon de 1842 à 1912 de Chantal Kozyref. Edition Musées royaux d'Art et d'Histoire ; 1998. / Tokyo, nouvelle capitale, les estampes japonaises de l'ère Meiji de Brigitte Koyama-Richard.  Nouvelles Editions Scala, 2022

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