L'ère EDO

L'ère EDO

Evoquer l'ère Edo , c'est faire référence à une période fort longue du Japon, de presque trois siècles qui sera une ère de grande stabilité politique et sociale, prospère et épanouie, relativement fermée aux influences étrangères et conduite par un nouveau pouvoir, autoritaire et centralisé.

Edo, du nom de la ville de Tokyo aujourd'hui, devint le berceau de cette période nouvelle et ne cessa de se développer. Fourmillant de commerçants et d'artisans, forte d'une population de plus en plus importante, elle profita de cet essor pour devenir le centre économique, culturel et artistique du pays.

Moment tout à fait essentiel dans l'histoire de l'estampe puisque c'est la période qui vit naître l'art de l'ukiyo-e, ou " image du monde flottant", cet art populaire et subtil qui nous enchante toujours

 

estampe japonaise hiroshige, edo meisho, vue depuis Kasumigaseki, femmes et guerriers marchant dans la rue, bâtiments en pierre blanche et bleue vue sur mer voiliers


 

Un petit retour historique : 

 

Le nouveau gouvernement des Shogun Tokugawa

L' Ere Edo qui vit la fin des guerres privées entre seigneurs, s'étend sur une très longue période : de 1600 à 1868, . On la nomme aussi  l'époque Tokugawa, du nom de la dynastie des Shogun qui vont régner sur le Japon durant toute cette période, jusqu'à leur destitution qui ouvrira l'ère Meiji. (voir article sur l'ère Meiji)

C'est la victoire du clan Tokugawa à la bataille de Sekigahara les 20 et 21 octobre 1600 qui va mettre fin aux guerres de clans et ouvrir une nouvelle ère, cette bataille est nommée Tenka wakeme nokassen ou "la bataille qui décida de l'avenir du pays" ! On y voit l'importance pour les Japonais de cette transition qui assura l'unité et la stabilité du pays.

Chef de guerre énergique, Tokugawa Ieyasu s'attribue lui-même tous les pouvoirs avec le titre de shogun il reçoit des mains de l’empereur son titre et instaure un gouvernement militaire, le bakufu d'Edo ou « gouvernement de la tente ».

L'empereur ne conserve pour sa part qu'une fonction symbolique et religieuse, en qualité de descendant de la déesse Amaterasuselon  le shintoïsme, la religion nationale.

Par d’habiles manœuvres politiques, le recours aux alliances matrimoniales avec la famille impériale et la transmission héréditaire du pouvoir shogunal, Ieyasu Tokugawa parviendra à asseoir son pouvoir et à maintenir sa lignée à la tête du pays durant plus de 250 ans.

Et c'est  Edo ou "Porte de la baie"  qu'il choisira pour devenir le centre de son pouvoir, il le restera tout au long de leur ère. C'est au début une simple petite ville, ouverte sur la mer, près de la rivière Sumida que Ieyasu Tokugawa va investir pour y établir le siège de son gouvernement, laissant l'Empereur qui n'a plus guère de pouvoir, cloitré dans son palais à Kyoto, autour d'une cour au cérémonial immuable.

 

Estampe Japonaise de Hiroshige, 53 stations du Tokaido, Arrivée à Kyoto, portes Palais impérial. Procession et personnages devant. Poème Kyoka en bas.

 

 

Un pouvoir autoritaire centralisé 

 

Tout d'abord la population va être divisée en catégories sociales dont il est presque impossible de sortir. Le maintien de cet ordre strict et rigide doit permettre une stabilité sociale et un contrôle du gouvernement sur la population. Quatre classes sociales sont ainsi organisées : les guerriers bushi (shogun, daimyos et samouraïs), les paysans nômin, les artisans kôgyô et les marchands chônin. Le reste de la population échappe à cette codification, mais pas au contrôle shogunal.

Cet ordre social fut largement soutenu par l'adoption de l'idéologie du Confucianisme. C'est en effet à cette époque, dés le début du XVIIe siècle que le néo-confucianisme se développa en tant qu'école de pensée distincte du bouddhisme. Venu de Chine et présent depuis fort longtemps au Japon, le confucianisme va prendre un jour nouveau et les Tokugawa, après quelques réticences vont s'appuyer sur ses préceptes et ses valeurs pour promouvoir leur nouvelle organisation sociale. Les vertus confucéennes étant l’humanité, la droiture, la correction, la sagesse, la fidélité, la sincérité et la conformité à l’ordre social.

Ensuite, pour consolider un peu plus son pouvoir et juguler la puissance des daimyos, les grands seigneurs des domaines provinciaux, le shogunat exerce un contrôle particulièrement strict à leur encontre par la sankin kôtai. Entré en vigueur en 1635, ce système contraint les daimyos à une résidence alternée d’une année sur deux entre Edo où est installée leur famille et leur fief. Les coûts engendrés par la sankinkôtai (déplacements, frais d’entretien de la double résidence), à la charge des seigneurs, ont ainsi raison d'éventuelles velléités belliqueuses. D'autre part, le gouvernement peut ainsi avoir un regard direct sur les grandes familles, et mieux les surveiller. 

Enfin désireux de contrôler le commerce et refusant l'influence occidentale, le shogunat Tokugawa va progressivement faire appliquer une série de mesures isolationnistes : l’expulsion des missionnaires chrétiens suite à l’interdiction du christianisme sur le territoire en 1614, l’interdiction d'entrer ou de quitter le pays pour les Japonais, l’expulsion des résidents et marchands étrangers et la fermeture des ports aux navires non japonais. 

Ainsi, en 1638, la communauté portugaise sera tout d’abord déplacée sur l'îlot de Deshima près de Nagasaki  puis expulsée l'année suivante. Les Hollandais seront eux-aussi confinés à Deshima en 1641 ; date à laquelle la fermeture du Japon sera la plus importante. Il ne subsiste dès lors que les comptoirs commerciaux de la Compagnie des Indes néerlandaise à Deshima et des quelques commerçants chinois à Nagasaki. 

Cette politique isolationniste menée par le shogunat est nommée sakoku, littéralement "pays cadenassé". 

Outre l'impact direct sur la vie quotidienne des gens, ces mesures vont conditionner le visage des villes et particulièrement celle d'Edo. 

 

Essor des villes, naissance d'un art urbain et populaire

En dépit de la pauvreté qui demeure, en particulier dans les campagnes et des catastrophes récurrentes, les villes vont se développer rapidement et au XVIIIe siècle, Edo est déjà l'une des plus grandes villes du monde avec 700 000 habitants. 

Les marchands, "les chonin", quatrième classe de l'organisation sociale nouvelle, vont devenir une communauté importante et prospère, premiers bénéficiaires de la double résidence des nobles contraints à des dépenses décuplées. D'autre part la circulation entre les différentes provinces entraînait des mouvements de monnaies (qui étaient différentes selon les régions) et permit l'essor des banquiers. Les marchands d'étoffes, d'objets artisanaux du quotidien, de saké, devinrent de riches familles au nom célèbre, comme les magasins Mitsui.

Cependant, à cause de la ségrégation rigide, cette classe en plein développement,  continua d'être hors de tout pouvoir politique, bien que détenant le pouvoir économique. Renonçant à obtenir influences ou reconnaissances dans les sphères du pouvoir politique, les chonins s'attachèrent à inventer leur propre culture. Les écoles existantes pour les familles de samouraÏs leur étant interdites, ils se tournèrent vers les temples où les moines leur transmirent le savoir, l'écriture et diverses techniques artisanales dont celle de l'impression, héritées de la Chine.

De là naîtront les premières impressions illustrant la vie quotidienne et les plaisirs éphémères qui allaient croître à l'intérieur de ces cités marchandes. Ces milliers de feuilles imprimées avec des techniques de plus en plus raffinées, allaient devenir cet art unique : l'estampe japonaise. Son histoire est donc intimement liée à celle de la ville en essor, à ses plaisirs et ses diverses réalités.

 

Estampe Japonaise de Kunisada | Printemps sur un ponton aux iris triptyque

 

Ainsi comme le dit Nelly Delay (....) "Ce petit chiffon de papier, fragile, aux couleurs instables, où s'imprimait une vie marginale et joyeuse, était destiné à une classe méprisée de la société qui allait le placer dans le lieu sacré de la maison, là où les classes supérieures montraient avec orgueil des portraits de dieux, d'ancêtres et des kakemono aux soies précieuses.(...) ce fut un langage qui a permis à la plus grande partie d'un peuple de se reconnaître, de s'exprimer et d'exister."

Parmi les nouveaux plaisirs de ces villes en expansion, Edo en tête, on compte la naissance du théâtre kabuki qui connût un incroyable succès populaire ainsi que  l'amplification et l'organisation de la prostitution avec les "maisons vertes" dont certaines hébergeaient les courtisanes les plus élégantes, les plus cultivées et douées dans tous les arts. Ces maisons de plaisir, concentrées à Edo en un seul lieu fermé, le quartier de Yoshiwara, devinrent le lieu d'une vie sociale urbaine intense. 

 

Estampe Japonaise de Kunisada Toyokuni III de la célèbre série des 36 courtisanes, une courtisane en magnifique kimono motif dragon et sa servante en kimono blru, et jeu de go en arrière plan

 

Ainsi les comédiens célèbres du théâtre kabuki tout comme les courtisanes les plus en vogue seront les sujets d'inspiration préférés des artistes de l'ukiyo-e. Ce terme s'appliquera à l'art de l'estampe, aux livres, aux poèmes, et aux peintres, il englobe l'ensemble des oeuvres des artistes qui vont dépeindre la vie et l'âme de ce "monde flottant". (voir l'article sur l'ukiyo-e)

 

Estampe Japonaise de Toyokuni I Utagawa | L'acteur Shigan tenant un éventail sur un ponton aux iris

 

 

Quel plaisir, en contemplant les estampes d'imaginer les rues de la ville d'Edo, ses bas quartiers et les abords de la rivière Sumida. On y voit toute une foule se mêlant dans les rues à l'activité intense, où les boutiques se succèdent, celles des marchands de lanternes, d'ombrelles, de céramiques ou de tissus et de saké. Femmes du peuple, enfants, moines, marchands et samouraïs se croisent tandis que les courtisanes de hauts rangs dans le quartier fermé de Yoshiwara déambulent sous les pruniers en fleurs...

 

estampe japonaise de Toyokuni 1 Utagawa, hommes en kimono sous des parapluies avec des lanternes une nuit pluvieuse

 

 

Autre conséquence directe des réformes du nouveau gouvernement des Tokugawa fut le développement de grandes routes qui sillonnèrent le pays. la plus célèbre fut celle du Tokai qui reliait Edo à Kyoto. Des personnages de la nouvelle cour voulant se rendre dans la ville impériale, les damyo, contraints comme on l'a dit de circuler entre leur fief et Edo, les commerçants rejoignant Osaka, le grand port marchand, les pèlerins se rendant dans tel ou tel lieu sacré, bref toute une foule empruntait ces voies. Elles devinrent, elles aussi, un des sujets de prédilection des artistes d'estampes pour le plus grand plaisir du peuple japonais qui se régalait de la mise en image des paysages de leur pays. On pense bien-sûr aux séries si célèbres de Hokusai autour du Fuji ou à celles d'Hiroshige illustrant les stations de la route du Tokaido.

 

estampe japonaise de Hokusai, Hodogaya de la série des 36 vues du Mont Fuji, personnages en palanquin et sur chevaux, grands pins et Mont Fuji en arrière plan, recto

 

Tous ceux qui contribuaient à la création et à la fabrication de ces estampes et permirent le développement de cet art sur papier, les artistes, les graveurs et les imprimeurs étaient des artisans, troisième classe de la société. Tout comme les marchands, ils   étaient des "gens des villes" et c'est à eux, réunis, que l'on doit le développement de l'art de l'ukiyo-e.

Soumis à la censure importante du shogunat, qui contrôlait tout document imprimé, les  les estampes ont dû subir le regard rigide et même puritain des autorités. Les Tokugawa  maintenaient, en effet, une société qu'ils voulaient confucianiste et puritaine. Mais une partie de cette société, les gens des villes justement, usèrent de tout leur imaginaire pour échapper à cette autorité. Les estampes, dont ils étaient à la fois les sujets d'inspiration et les premiers amateurs représentaient une véritable liberté d'expression. Grâce à des jeux de mots ou d'esprit, par des métaphores et des allusions, les artistes bravaient la censure et le pouvoir. Même si certains, comme Utamaro, le paya cher quand il fut enfermé suite à un dessin faisant référence à un héros national. Pourtant rien n'arrêta ces artistes et leur public, friands de beauté et de liberté. 

 

Estampe japonaise de Kunisada, un diptyque d'acteurs de kabuki dans la fille d'attente d'un théâtre. Scènes de théâtre au dessus d'eux.

 

Edo est donc une période faste et prospère qui voit se développer un Japon commerçant, dans un environnement pacifié. Fermé sur lui-même, certes, mais concentré à développer une culture forte et populaire et des arts d'un raffinement unique dans tous les domaines de l'artisanat, céramique, laque, armes et armures, étoffes et bien-sûr l'art de l'estampe, reflet incomparable d'une vie en mouvement.

 

 

 

 


 

 

 

 

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