La route du Tokaido et les séries d'Hiroshige

La route du Tokaido et les séries d'Hiroshige

Combien d'Estampes Japonaises ont pris comme thème la route du Tokaido ! Mais quelle était cette route qui donne son nom à de si nombreuses séries ? En effet tant d'artistes vont y faire référence, mais c'est Hiroshige qui la rendra célèbre dans le monde entier et s'imposera, grâce à elle comme le maître de l'Estampe Japonaise de paysage et le peintre du Tokaido

 
🎌 Revenons à la géographie : où se situe-t-elle ?

🗾 La route du Tokai partait de Edo (Tokyo aujourd'hui), la capitale du Shogun, pour rejoindre Kyoto, la ville impériale. Reliant les deux pôles du pouvoir en longeant la mer, c'était une voie extrêmement fréquentée sur laquelle se croisaient les marchands, les paysans ou les pêcheurs se rendant à la ville, les samouraïs contraints de passer un certain temps à Edo, les pèlerins, et toute la diversité des classes sociales de la population japonaise de l'ère Edo. Sur cette route, de nombreuses stations ou relais permettaient au gens de se restaurer, de se poser et d'admirer le paysage. C'est cela même qu'Hiroshige s'attachera à décrire quand il dessinera , avec tant de talent, les cinquante-trois étapes qui jalonnaient la route. 

Nous nous attacherons à décrire la série la plus connue qu'ait réalisée Hiroshige et qui est aussi la première de ses séries sur le Tokaido : Les cinquante trois stations de la route du Tokaido (Tokaido gojusantsugi no uchi), éditée en 1832/1833 par l'éditeur Hoéido. Elle est également appelée "Le Grand Tokaido" (à cause de son format, Oban).

Mais n'oublions pas que Hiroshige a dessiné, jusqu'à la fin de sa vie, pas moins de 30 séries sur le thème du Tokaido (dont le tokaido appelé kyoka, en format chuban où chaque Estampe Japonaise de la série est accompagnée d'un poème kyoka, ou encore le tokaido vertical, appelé ainsi à cause de son format). 

🌳 🎨  Il avait trouvé avec cette route, tout comme Hokusai avec le Mont Fuji, le média idéal pour décrire la Nature et ses multiples variations, au gré des saisons et de l'environnement, montagneux, maritime, ou agricole. Il ne se lassa pas d'observer les soirs d'orages ou le soleil qui pointe, la lumière sur une colline ou un paysage couvert de neige, mettant en scène pour chaque dessin la présence humaine au coeur d'une nature magnifiée.

C'est donc vers 1832 que Hiroshige va commencer  à travailler sur ce qui sera son oeuvre la plus connue : le Tokaido Gojusantsugi. La série comprendra les cinquante-trois stations de la route auxquelles s'ajouteront les étapes de départ et d'arrivée, décrites au travers de deux ponts urbains : le pont Nihon à Edo et le Grand pont à Kyoto, ramenant la série à cinquante-cinq Estampes Japonaises au total. 

Il est dit que Hiroshige accompagna une délégation du Shogun qui se rendait à Kyoto et qu'il fit alors de nombreuses esquisses pour des Estampes Japonaises à venir. Mais rien dans la série ne fait référence directement à ce voyage. Et comme l'écrit Matthi Forrer ( Hiroshige, Editions Citadelles et Mazenod, 2017) "S'il a réellement parcouru une partie de la route du Tokaido, à cette occasion, les images laissent à penser qu'il n'a probablement pas dépassé la neuvième étape, Odawara, qui se situe à un peu plus de quatre-vingt kilomètres du centre d'Edo".

📚 Il semble plutôt qu'Hiroshige se soit inspiré de plusieurs ouvrages, bien connus à l'époque comme un guide de voyage populaire, Lieux célèbres illustrés sur la route du Tokaido, édité en 1797 qui décrivaient les stations avec des illustrations en noir et blanc ou un recueil de poèmes kyoka, Vues d'étranges paysages. On peut ainsi retrouver certains des paysages dessinés par Hiroshige dans l'un ou l'autre de ces ouvrages à qui il va emprunter une vue générale et lui apporter, en plus de la couleur, sa composition singulière, en modifiant la perspective, en donnant plus d'importance à tel bâtiment ou en créant une atmosphère plus vivante, plus "vraie" cherchant à nous faire sentir le brouillard qui tombe, le doux silence de la neige, le vent qui fait s'envoler les chapeaux ou la pluie qui surprend.

Le succès et l'intérêt qu'eurent cette série, dés sa première édition et jusqu'à aujourd'hui, tient également à l'habileté de l'artiste à rendre par ses images, les multiples détails de la vie quotidienne de son époque. On y voit ainsi de nombreux restaurants ou auberges, les voyageurs attablés et les plats locaux qui y étaient servis, des personnages traversant des rivières sur des bacs (comme dans les stations Kawasaki, Mitsuke, Arai ou Kuwana), des porteurs de bagages (Fujieda), des ouvriers qui travaillent (Yoshida) ou un coursier portant le courrier (Hiratsuka), Le regard profondément humain d'Hiroshige a souvent été décrit pour parler de ses séries du Tokaido ; on peut en effet s'identifier facilement aux voyageurs pris dans les tourments d'évènements climatiques, surpris par une averse diluvienne à Oiso, ou perdus dans la brume en arrivant au sanctuaire de Mishima, ou encore seul dans la neige à Kambara ou à nouveau sous une averse à Shono ou à Tsuchiyama. On peut ainsi dire, comme Matthi Forrer (op. cit) :

 "En fin de compte, peu importe qu'Hiroshige ait parcouru la route du Tokaido, car il réussit à nous faire croire qu'il y était, s'intéressant aux incidents du voyage, à la variété des situations rencontrées, et aux changements des conditions climatiques tout en observant finement le paysage." 

Hiroshige & Hokusai :
Grand maître du paysage, il va se différencier d'Hokusai, l'autre artiste de la nature et son contemporain incontournable, par sa composition plus "simple" et plus "directe". Alors qu'Hokusai s'attachait avec brio à construire ses dessins avec des lignes diverses et complexes, tel un architecte, Hiroshige compose son image autour de plages de couleurs, esquissant les pentes des montagnes, les structures d'un bâtiment, les méandres d'une rivière par des lignes simples. Il nous offre ainsi une composition identifiable rapidement à un lieu connu. Comme l'ont dit Laurence Binyon et J.J. O'Brien Sexton (Japanese Colour prints, Londres, 1923) quand il s'agit de comparer les deux artistes : 

 "Quand on regarde un paysage d'Hokusai, on est époustouflé par son énergie créatrice, par les formes, les masses et les couleurs originales et stimulantes avec lesquelles il redéfinit son monde et crée une relation spectaculaire entre les divers éléments de son motif. Les paysages d'Hiroshige, en revanche, nous plongent dans une atmosphère locale précise, dans le brouillard, la lumière du soleil, le clair de lune, les montagnes du Japon. Chez Hokusai, les accidents de la nature sont l'occasion d'introduire des nouveautés dans ses compositions ; chez Hiroshige, ils sont là pour leur beauté intrinsèque."

C'est à vous de découvrir maintenant les nombreuses Estampes Japonaises qui forment cette série, de les observer et d'y trouver le charme si particulier à Hiroshige, et de ressentir le même émerveillement qui depuis bientôt deux siècles entoure ces images. 

De par leur succès, dés la première publication (en 1833), les séries du Tokaido, et particulièrement celle-ci : le Tokaido gojusantsugi ont été de nombreuses fois ré éditées. Celle présentée ici est une édition réalisée avec le plus grand soin et un grand respect des couleurs et nuances d'origine, par l'éditeur Yuyudo dans les années 1950. Ce sont de très belles impressions d'une grand finesse de fabrication. 🎨

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