
Le Dit du Genji... sujet de si nombreuses séries d'Estampes Japonaises,
Qu'est-ce que c'est ?
Le Dit du Genji (genji monogatari) est une saga considérée comme une oeuvre majeure de la littérature japonaise du XIe siècle, attribué à Murasaki Shikibu (Dame de la Cour impériale, qui a vécu entre 973 et 1014). L'oeuvre comprend au total 54 volumes qui se sont écrits sur 70 ans.
L'intrigue du livre se déroule pendant l'époque Heian (794 - 1185) et relate la vie d'Hikaru Genji, le fils de l'empereur du Japon et d'une de ses concubines. Il ne peut pas prétendre au trône et est tenu à l'écart du palais mais son charisme impressionnant l'amène à être à l'origine d'une nouvelle branche de la famille impériale.
L'oeuvre, tout en étant un roman et Genji un personnage fictif, se présente comme un récit véridique, (monogatari 物語 en japonais), qui raconte la vie de ce prince impérial, d'une beauté extraordinaire, poète accompli et charmeur de femmes.
Il s'agit pour beaucoup du premier roman psychologique du monde. Le caractère intemporel des relations humaines y est pour beaucoup et si les us et coutumes de la cour peuvent nous être étrangers, les vicissitudes que rencontrent les personnages sont bien plus familières. Par bien des aspects l'œuvre est une critique incisive et complète des mœurs décadentes de la cour de Heian mais avec un regard intérieur, intime car après tout l'auteur est elle-même un membre de la cour. On y trouve les thèmes de la femme bafouée, du mari jaloux, de la courtisane, du séducteur impénitent, de la fascination du pouvoir, des différentes classes sociales, de l'argent.
Une des difficultés majeures de lecture réside dans le fait que les personnages (plus de deux cent) sont presque tous nommés uniquement par leur titre dans la Cour impériale. L'histoire durant plusieurs dizaines d'années, ils évoluent, et donc changent de titre. Les lecteurs et les traducteurs contemporains utilisent divers sobriquets pour suivre les nombreux personnages du roman. En effet, à l'époque Heian, on se référait aux gens de la cour par leur titre, l'usage du nom étant considéré comme grossier. Ainsi les personnages cités par leur nom dans le roman sont souvent des servants.
Petit tour de quelques uns des Personnages :
-Le Genji (光源氏 hikaru Genji, le Genji radieux). Le héros du roman. Homme de goût reconnu unanimement par toute la cour, il use de son charme pour séduire toutes les belles femmes de la cour. Même si par la suite, ses conquêtes s'espacent un peu du fait de l'âge, il reste un séducteur dans l'âme. Il atteint sous le règne de son fils illégitime le titre de Grand ministre et dirige l'empire. Titres: Commandant, Général, Grand conseiller, Ministre du dedans, Grand ministre.
-L'Empereur (桐壺帝, l'empereur Kiritsubo, littéralement empereur du pot aux paulownias). C'est le père du Genji qui règne au début du roman. Il se retire pour laisser son fils, le frère du Genji régner.
-La Dame du clos aux paulownia (桐壺更衣 littéralement la dame de cour du pot aux paulownias). C'est la mère du Genji que l'empereur a aimé passionnément. Sans appui à la cour elle ne pourra assurer à son fils une position sûre, aussi, lui octroyer le titre de Genji lui évitera bien des intrigues. Elle n'a pas d'autres enfants que le Genji.
-La Dame du clos aux glycines (藤壺中宮 Fujitsubo, littéralement épouse seconde du pot aux paulownias). C'est une princesse de haut rang dont l'empereur s'éprend lorsque la dame du clos aux paulownia s'éteint. Elle ressemble de façon troublante à cette dernière. Le Genji va nourrir toute sa vie une passion coupable pour cette dame et même lui faire un enfant. Rongée par le remords, elle se retirera du monde après la mort de l'empereur.
-Dame Aoi, (葵の上, littéralement Dame des Mauves). Il s'agit de la première épouse du Genji. Elle est la fille du ministre de la gauche et un peu plus agée que le prince. C'est une nièce de l'empereur par sa mère et surtout elle est la soeur du commandant chef du secrétariat. Elle mourra peu de temps après avoir mis au monde l'enfant du Genji, hantée par un esprit maléfique.

-Le Commandant chef du secrétariat, (頭中将/内大臣, Tō no Chūjo, littéralement chef lieutenant général/le seigneur gardien des sceaux). C'est le frère de Dame Aoi, l'épouse du Genji et l'ami de ce dernier. Promu progressivement jusqu'aux plus hautes sphères de l'état parallèlement au seigneur Genji, il sera son éternel rival lors de ses conquêtes amoureuses puis à la cour où chacun essaiera d'éclipser l'autre par l'influence. C'est lui qui dirige l'empire dans les faits durant une bonne partie du roman. Titres: Moyen conseiller surnuméraire, Grand conseiller, Général de la droite, Ministre du dedans, Grand Ministre.
-La Dame de la sixième avenue. (六条御息所, littéralement lieu honorable de la sixième avenue). C'est l'épouse du frère aîné de l'empereur du clos aux paulownia qui est décédé avant le roman. L'empereur veille particulièrement sur elle en mémoire de son frère défunt. Amante du Genji, sa jalousie envers la femme de ce dernier, Dame Aoi sera responsable de sa mort par l'acharnement d'un esprit mauvais inspiré par elle.
-Dame Murasaki, (紫の上, littéralemeny Dame du Grémil, souvent référée par Dame de la deuxième avenue au début ou Dame de céans dans le livre. Il s'agit de la nièce de la dame du clos aux glycines que le Genji va rencontrer par hasard dans un monastère où son père, Ministre délégué aux affaires militaires, ne s'occupe guère d'elle. Elle est encore très jeune mais lorsque sa grand mère meurt, il la fait enlever et la loge chez lui, dans sa résidence de la deuxième avenue afin d'entreprendre son éducation dans le but d'en faire une épouse idéale et du meilleur goût. Le personnage a une telle présence dans l'œuvre que l'auteur reçoit de la part de la cour de l'époque le nom de la dame comme surnom. Un des tout premiers personnages, sinon le plus important. Tout en acceptant quasiment tous les écarts de conduites du Genji en apparence, elle lui reproche souvent sa légèreté et son inconstance. Lui s'appuie sur elle en toute occasion et la place devant toutes les autres femmes pour toutes ses qualités.
-Le second Empereur. Demi-frère du Genji, il admire son jeune frère et le protège, même lorsque sa mère, la Dame du Kokiden essaie de l'évincer en permanence. Cette dernière obtient finalement gain de cause lorsque le Genji séduit une de ses maîtresses, ce qui lui vaudra l'exil. Lorsque le Genji revient de son exil, il le rétablit dans les plus hautes fonctions. Il finit par se retirer dans la montagne, laissant le trône au fils illégitime du Genji. A la fin de sa vie, il est pris d'inquiétude concernant le sort de sa fille préférée, la princesse troisième, et va arranger son mariage avec le Genji.
-Le troisième Empereur. Fils illégitime du Genji avec la Dame du clos aux glycines, il est désigné héritier du trône par son père putatif, l'Empereur Kiritsubo. Sa ressemblance avec son père véritable est frappante. Pris de nombreux doutes quant à sa véritable ascendance, il finit par apprendre la vérité par un moine confident de sa mère. Il s'en ouvre alors à son père et lui propose même le trône. Ce dernier refuse l'honneur mais gagne dès lors énormément en influence.
L’époque de Heian fut une période de paix, une sorte de bulle historique immense. L’empereur ne gouverne pas, les membres de la Famille Fujiwara sont régents et marient leurs filles aux princes héritiers qui, recueillant le trône, se cantonnent à des fonctions sacerdotales et culturelles. Aussi la famille impériale et ses courtisans n’ont-ils rien d’autres à faire que de vivre dans un certain désœuvrement, étudiant les classiques chinois d’une dynastie disparue.
La plupart des scènes se déroulent en vase clos, les courtisans s’échangent des poèmes à double ou triple sens, sous une surveillance mutuelle constante, chacun guette les moindres gestes, bruits, attitudes équivoques et ce d'autant plus facilement que les palais ne comportent aucune cloison en dur. Les appartements sont une immense pièce modulable suivant le nombre d’occupants et les besoins du moment. C'est une enfilade de couloirs, de longs auvents, de passages couverts, un ensemble de volets coulissants, le plus souvent clos, de cloisons de papier amovibles, de portes à glissière, d'épaisses tentures de soie, de stores à moitié levés, d'écrans d'apparat, qui protègent les femmes des regards curieux. Leur accumulation permet de démultiplier l’espace à l’infini et d’accorder une place à chaque individu mais elle contribue aussi à nier toute vie privée, car elle rend possible l’observation cachée de scènes et la répétition de conversations destinées, en principe, aux seuls participants, chuchotements d’alcôves comme allées et venues nocturnes.
Le récit présente un monde crépusculaire sans fenêtres, où la pluie oblige à fermer les volets, où seuls, un rayon de soleil, un clair de lune, la lueur d'une lampe à huile filtrent à travers les fentes d'un volet ou les interstices d'un toit. Un labyrinthe de pièces où on ne se voit pas, où il arrive qu'au début d'une liaison, des amants se trompent de partenaire. C’est le royaume des indiscrets et des curieux, des insinuations et des calomnies, des chuchotis et des cancans, des allusions perfides et des sous-entendus moqueurs. On y dépérit de lassitude et d’ennui. Un rire étouffé, une bribe de conversation, un froissement de robe, le crissement d'un parquet chantant. Le tout dans une ambiance de superstition pesante, interdits de direction, on croit aux démons, aux lutins, aux esprits vengeurs, à la possession des vivants, à la colère d'une foule de dieux mineurs. On respecte les tabous, comme ces interdits de direction, qui obligent les promeneurs à de longs détours et sont la providence des amants.
Les personnages féminins sont les plus étranges, elles ne marchent pas mais elles glissent sur le sol ou elles sont transportées en palanquins fermés, les visages sont fardés de blanc de céruse, les sourcils épilés et redessinés sur le front d'un trait de charbon, la chevelure doit dépasser la taille de la personne, sous peine de ne pas correspondre aux canons de beauté, les dents sont laquées de noir, elles portent de multiples strates de vêtements aux couleurs parfaitement codifiées selon les saisons.
Enfin c'est un monument que l'on peut lire mais aussi parcourir... et qui regorge de détails sur la vie au Japon. Ce livre si populaire et ancré dans la culture japonaise, même pour ceux qui ne l'ont pas lu, a évidement donné lieu à de magnifiques séries d'Estampes Japonaises !
L'art de l'Estampe Japonaise, art de l'illustration et art populaire par excellence ne pouvait ignorer cet incontournable et s'en est inspiré largement : grâce aux oeuvres de Kunisada Toyokuni III ou de Kuniyoshi et tant d'autres, on peut aujourd'hui toujours rêver près du Prince Genji !